mercredi 26 octobre 2016

LA PREMIERE CELLULE SUR TERRE

N°456 - 10/2011 La Recherche

Propos recueillis par Cécile Klingler

[1] Pasquale Stano et Pier Luigi Luisi, « Construire une cellule de toutes pièces », La Recherche, octobre 2010, p. 48.
Origines de la vie - 3

3 - PURIFICACIÓN LÓPEZ-GARCÍA : « Trois éléments clés pour la cellule primitive »

Produire de l'énergie et transmettre de l'information, le tout à l'abri d'une membrane, c'est ce qui caractérise aujourd'hui les organismes vivants. Mais dans quel ordre ces fonctions sont-elles apparues ?
LA RECHERCHE : Quand la vie est-elle apparue ?
PURIFICACIÓN LÓPEZ-GARCÍA : Elle n'a pu apparaître que lorsque les conditions physico-chimiques régnant sur la toute jeune Terre ont été compatibles avec l'existence de grandes molécules organiques. Parmi les prérequis indispensables, il y a en particulier la présence d'eau liquide, qui favorise de nombreux types de réactions chimiques indispensables à la formation de telles molécules. L'eau liquide étant apparue sur la Terre il y a 4,4 à 4,2 milliards d'années, nous avons là la barre inférieure d'apparition de la vie. Du moins en théorie. Car la Terre a subi un très fort bombardement de météorites il y a 3,9 milliards d'années, si intense qu'on pense que les océans ont été entièrement vaporisés. Si tel est le cas, il est possible que la vie, si elle existait, ait alors totalement disparu, pour réapparaître après cette phase de bombardement. Une autre possibilité serait qu'elle ait persisté à l'intérieur de la croûte terrestre, et qu'elle ait ensuite recolonisé la planète. Et enfin, la vie peut n'être apparue qu'après la fin du bombardement, sans que l'on sache dire si c'était il y a 3,8 milliards d'années ou un peu après.
Quelle « vie » imaginer à une époque aussi reculée ?
P. L.-G. Si l'on se réfère aux trois grandes caractéristiques intrinsèques du vivant actuel, on peut imaginer une « cellule minimale » possédant à la fois un système de support d'information, un système métabolique produisant sa propre matière organique, et enfin, une membrane de confinement. Cela dit, historiquement, l'apparition d'une telle membrane est toujours passée au second plan. Et deux grandes hypothèses relatives aux débuts de la vie, deux écoles de pensée, se sont opposées. La première considère que ce qui fait l'essence même de la vie, c'est l'existence d'un métabolisme : il y a vie dès lors que l'on a un système qui s'autoentretient en produisant sa propre énergie et sa propre matière à partir d'éléments qui lui sont extérieurs. Cette conception, dite « métabolique », est en général celle qui recueille l'adhésion des physiciens. La seconde, dite « génétique », considère que la propriété essentielle du vivant est l'existence d'un système d'information, d'un matériel génétique codant de l'information et capable de se répliquer. C'est l'hypothèse préférée des biologistes, parce qu'il est plus facile de lui accoler la notion d'évolution.
En pratique, ce ne sont pas les mêmes molécules qui seraient apparues en premier ?
P. L.-G. Effectivement, l'hypothèse métabolique postule que les molécules incontournables du vivant sont les protéines et en particulier les enzymes, qui catalysent les réactions chimiques. L'hypothèse génétique, elle, donne la primauté aux molécules qui servent de support d'information, autrement dit les acides nucléiques, dont font partie l'ADN et l'ARN. Et il est impossible de se référer au vivant actuel pour trancher. En effet, dans les cellules actuelles, on est confronté au problème de l'oeuf et de la poule : les protéines sont certes synthétisées à partir d'acides nucléiques, qui les codent, mais les acides nucléiques ont absolument besoin d'enzymes - donc de protéines - pour se répliquer !
Laquelle de ces deux écoles de pensée a gagné ?
P. L.-G. Ni l'une ni l'autre. Prenons l'hypothèse génétique du « monde à ARN », pour reprendre l'expression proposée en 1986 par Walter Gilbert, de l'université Harvard. Selon cette hypothèse, qui s'est construite dans la seconde moitié du XXe siècle, la vie serait apparue sous forme de molécules d'ARN capables de se répliquer elles-mêmes : des molécules d'ARN autoréplicatives. Cette hypothèse s'appuyait sur deux types de résultats. D'abord, ceux de Leslie Orgel, du Salk Institute, en Californie. Dans les années 1970 et 1980, il a démontré qu'il était possible de catalyser de petits ARN dans un tube à essai sans recourir à des enzymes protéiques. Et il a suggéré que l'ARN pouvait avoir des capacités catalytiques en plus de stocker de l'information. Puis, au début des années 1980, Thomas Cech, de l'université de Colorado, et Sidney Altman, de l'université Yale, ont découvert une catégorie d'ARN très particulière : des ARN capables, comme des enzymes, de catalyser des réactions chimiques. Ils les ont appelés « ribozymes ». Avec cette découverte, il devenait possible d'imaginer des molécules d'ARN primitives capables à la fois de porter de l'information et de catalyser leur propre réplication. Ce qui résolvait, du moins en apparence, le problème de l'oeuf et de la poule. Mais cette hypothèse d'un « monde à ARN » pur, tel que le concevait Walter Gilbert, n'est plus satisfaisante aujourd'hui.
Pourquoi n'est-elle pas réaliste ?
P. L.-G. Pour deux raisons. La première, c'est qu'on a du mal à imaginer comment un métabolisme énergétique serait apparu, dans le cadre d'un « monde à ARN » pur. En tout cas, on n'en trouve aucun indice en étudiant les ribozymes actuels : aucune des réactions chimiques qu'ils catalysent n'a quoi que ce soit à voir avec la production d'énergie. C'est d'autant plus curieux que, par ailleurs, les ribozymes sont l'élément clé d'une des structures les plus conservées qui soient dans l'histoire des cellules : les ribosomes, les « usines de synthèse » des protéines. En effet, ce sont les ribozymes qui catalysent la liaison des acides aminés les uns aux autres. Le fait que cette activité soit conservée dans tous les organismes vivants prouve leur importance. À supposer que des ribozymes primitifs aient eu une fonction clé dans le métabolisme énergétique aux débuts de la vie, pourquoi l'aurait-il perdue au cours de l'évolution ? La seconde raison qui laisse penser qu'un « monde à ARN » pur ne pouvait pas exister est que jusqu'à présent, on n'a jamais réussi à synthétiser le moindre ARN in vitro dans les conditions « prébiotiques », c'est-à-dire les conditions qui régnaient sur Terre il y a 4 milliards d'années.
L'équipe de John Sutherland, à Cambridge, n'a-t-elle pas récemment synthétisé in vitro les quatre « briques élémentaires » de l'ARN, les nucléotides ?
P. L.-G. Oui, elle en a synthétisé deux en 2009, et les deux autres en 2010. Mais cette synthèse a eu lieu avec des quantités de produits précurseurs qui n'ont rien de prébiotiques. Et on n'arrive toujours pas à lier ces nucléotides les uns aux autres pour former de l'ARN. De fait, la formation d'ARN dans des conditions prébiotiques est tellement difficile à concevoir que beaucoup de chercheurs suggèrent que les premières molécules porteuses d'information auraient été des polymères mixtes constitués d'une chaîne peptidique carbonée portant des bases semblables à celles des nucléotides.
Si un « monde à ARN » pur n'a pas pu exister, quelle est l'autre hypothèse ?
P. L.-G. Aujourd'hui, on pense de plus en plus à un monde où auraient coexisté et coévolué des ARN et des peptides. Les peptides sont de courtes chaînes d'acides aminés, beaucoup plus courtes que les protéines. Or, on sait que les acides aminés peuvent se former de manière abiotique, que ce soit dans l'espace ou dans les conditions de la Terre primitive (lire « Recréer les débuts de la vie sur Terre », p. 40). De plus, on arrive à obtenir de courts peptides dans des conditions prébiotiques. Enfin, on a démontré que certains de ces peptides avaient une activité catalytique. Dès lors, il est plus que plausible qu'ils aient joué un rôle dans la chimie des origines. D'où l'hypothèse d'un monde à ARN-peptides.
Dans un tel monde, comment imaginer l'apparition de cellules ?
P. L.-G. De mon point de vue, quand on réfléchit aux origines de la vie, on ne peut pas se cantonner aux ARN et aux peptides. On doit dès le départ inclure une troisième composante : une membrane englobant ces molécules dans une vésicule. En effet, quand on considère le rôle joué par la membrane dans les cellules actuelles, on voit qu'elle assure plusieurs fonctions essentielles : elle assure l'intégrité cellulaire, elle structure les échanges avec l'environnement et elle est fondamentale pour la production d'énergie. En particulier, sa présence permet la création d'un gradient de concentration des ions (le plus souvent des protons, H+) : leur concentration n'est pas la même à l'intérieur et à l'extérieur de la cellule. Or, toutes les cellules tirent, d'une façon ou d'une autre, parti de ce gradient pour produire de l'énergie grâce à un complexe macromoléculaire, l'ATPase membranaire. Celui-ci, ainsi que le ribosome constituent les deux machineries cellulaires les plus universellement conservées et ancestrales. Cette fonction de la membrane est donc l'une des propriétés fondamentales du vivant. Selon moi, la formation de vésicules englobant les premiers peptides et de l'ARN s'est donc produite très, très tôt. C'est tout à fait envisageable, car on a montré que des molécules capables de former des vésicules peuvent exister dans des conditions prébiotiques. Les travaux de David Deamer de l'université de Californie ont montré qu'on peut même former des vésicules avec des molécules organiques présentes dans les météorites ! Cette hypothèse me semble d'autant plus tenir la route qu'on voit bien qu'en pratique, lorsque l'on essaie de fabriquer des cellules « primitives », des « protocellules », il faut impérativement que ces trois éléments soient présents en même temps. En théorie, on peut imaginer un « monde à peptides », un « monde à ARN », un « monde à ARN-peptides ». Mais les scientifiques qui, comme Pier Luigi Luisi ou Jack Szostak, essaient de créer des « protocellules », ajoutent aussi de quoi former une membrane [1] !
Cette cellule primitive aurait alors évolué au niveau de tous ses constituants ?
P. L.-G. Oui, les assemblages qui fonctionnaient dans le contexte physico-chimique de la Terre primitive auraient évolué, en se complexifiant. Jusqu'à ce que, finalement, émerge ce que l'on désigne par le terme générique de « dernier ancêtre commun universel » : le type de cellule qui est à l'origine des bactéries, des archées et des cellules eucaryotes, les trois grandes branches du vivant.
Propos recueillis par Cécile Klingler

L'essentiel
DEUX HYPOTHÈSES se sont longtemps opposées pour expliquer les débuts de la vie. L'une postule que les molécules incontournables sont les peptides et les protéines. Pour l'autre, ce sont les acides nucléiques.
AUJOURD'HUI, ON PENSE PLUTÔT à un monde dans lequel ces deux types de molécules auraient évolué ensemble.
L'APPARITION DES PREMIÈRES CELLULES implique aussi la présence précoce de molécules capables de former des vésicules.

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