Voiture du dytique
Cette année-là, Bill Clinton niait, sous serment, avoir eu des relations sexuelles avec Monica Lewinsky. Eric Tabarly tombait de son bateau en mer d'Irlande. Internet explosait et les horizons semblaient infinis. Cette même année 1998, la revue Latissimus, exclusivement consacrée aux scarabées d'eau (ou dytiques), lâchait une bombe sous le titre «Un nouveau cas de scarabées d'eau sautant sur le toit d'une voiture rouge» (n°10, p. 29). Ce dernier événement eut pas mal de suites.L'article de Latissimus sonnait en effet comme un défi jeté à la recherche. Pourquoi donc des insectes aquatiques sautaient sur les voitures rouges pour y pondre leurs oeufs ? Quels dégâts ces sales bêtes pouvaient-elles causer aux peintures fragiles et coûteuses ? Et que deviendraient les dytiques s'ils se mettaient tous à pondre sur le toit des voitures rouges ? La science oublia vite le dossier Clinton-Lewinski pour tenter d'apporter des réponses. D'abord, on se souvint que l'année précédente, en 1997 donc, A.N. Nilsson avait déjà sonné l'alerte dans la même revue avec son travail : «Sur les Hydroporus volants et l'attraction de H. incognitus pour le toit des voitures rouges» (n°9, pp. 12-16). Il y avait donc des précédents, sans quoi, il est vrai, B. J. van Vondel n'aurait pu parler de «nouveau cas» dans sa publication de 1998. La recherche progressait.
Rappelons que les dytiques sont des coléoptères aquatiques dont la plus grande espèce (Dytiscus latissimus) peut atteindre 5 cm de long. Et sautons quelques épisodes jusqu'au 7 juillet 2006, date à laquelle les Proceedings en sciences biologiques de la Royal Society de Londres (équivalent de notre Académie des sciences) publiaient, dans leur volume 273 (pp. 1667-1671), des résultats déterminants en provenance de Hongrie. Par un beau jour d'été, une équipe de Budapest avait déployé dans un marais de grandes bâches en plastique rouge, noire, jaune et blanche. En l'espace de trois heures, 1229 insectes aquatiques avaient déjà atterri sur les bâches. Rien d'extraordinaire à cela, mais visez le décompte : 700 insectes sur la bâche rouge, 398 sur la noire, 88 sur la jaune et 43 sur la blanche. Il y avait donc comme une préférence. Ensuite, les chercheurs hongrois ont beaucoup pensé, analysé quelques peintures automobiles, et sont revenus avec cette révélation : les coléoptères détectent les mares en fonction de la polarisation horizontale de la lumière réfléchie, or celle que renvoient les voitures rouges (et noires dans une moindre mesure) se trouve être polarisée de la même manière. Voilà pourquoi, du point de vue du dytique, une bagnole rouge et une mare, c'est kif-kif : en voiture Simone.
Et les auteurs de conclure : «Nous proposons que les habitants des zones humides conduisent des voitures aux coloris clairs afin d'épargner les oeufs des insectes aquatiques bernés.» A notre connaissance, cette recommandation n'a pas été suivie d'effet.
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